Comme dans les bras d'une jolie fille.

Publié le par Lionel Degouy

Entre autres mille choses, pour affiner mes sens, chaque fois que je le peux, je passe les portes du musée Fabre, à Montpellier. Le soleil y entre à volonté, par ces nombreux beaux jours, et vient, du haut du bâtiment, à travers le verre poli, glisser le long du noir immense de Pierre Soulages.

A quelques marches à peine, dans les bas-fonds de la structure, se trouve, comme en opposition, l’obscure intimité d’un Rubens, d’un Breughel ou d’un Bloemen en leurs écrins dorés, créateurs d’ombres brunes. Partout l’architecture capte la lumière et lui fait don d’espaces propres à la recevoir, ou propres à l’absorber, pour en extraire l’étincellement le plus violent et le faire cheminer avec autorité vers les zones d’ombre : par une suite de petites salles, se présentent, étranges et tortueuses, les formes improbables de la peinture flamande et hollandaise du XVIème siècle.

Le sang bien dessiné, bien peint, fournit à mes nerfs la nécessaire tension à l’exaltation de mes sens. Le pourpre, tout à la fois sombre et criant, donne à rêver d’amours cruelles qui parfois deviennent salvatrices, tant l’ennui nous menace, de façon certaine, par des liaisons bien trop frileuses, trop objectives, trop mesurées, trop prévisibles. Il faut ici se laisser porter par l’immuable, là où le temps se pose pour laisser place à la mélancolie, l’errance, et pour finir, la liberté. Toutes ces œuvres sont là pour nous rappeler comment nous nous laissons happer bien trop souvent par d’incommensurables courses, incessantes et folles, vers on ne sait trop qui, vers on ne sait trop quoi. A nous, donc, de savoir profiter de ces furtives évasions vers des mondes multiples, aptes à nous transporter au-delà de nous-mêmes.

C'est pour cela qu'on va s'aimer à en crever. Et pour toujours. Un jour. Un jour de grand soleil, un jour de pluie. Un jour de guerre, un jour de paix. Un jour de haine. Un jour de peine, un jour de joie. Pour que nous soyons bien convaincus par la beauté du monde qui nous est offert. Mais tout autant du monde qui vient. Celui qui sans détour vaincra. Ne serait-ce que pour l’amour du beau. C’est bien ici la seule autre voie, vraiment plausible, à ce monde terriblement infanticide. Implacable. N’est-ce pas à cet endroit précis, en ces temps de décomposition folle de l’être, que se situe le cœur de nos questions présentes ? L’amour nous offre une perspective unique quant à la liberté, que nous avons toujours possédée, de choisir entre le temps de vivre et le temps de mourir un peu, de temps en temps. Le temps de mourir un peu : enfin se poser là, comme éternels. Et puis heureux, tout simplement heureux. Comme dans les bras d’une jolie fille, loin de la guerre. Enfin.

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